EITB

Théâtre « Une pseudo-vie familiale

Silence on bouge !

Mercredi 29 mars 2023, j’ai assisté à la générale de : « Une pseudo-vie familiale » du togolais Joël Ajavon, mise en scène par Luc Alanda Koubidina, un autre togolais issu de la première promotion des étudiants formés à l’Ecole Internationale de Théâtre du Bénin EITB .
Déchirant et percutant, ce spectacle.
Fermes et émouvants, les interprètes qui ont saisi leurs personnages à bras le corps.
En effet, c’est un drame qui ne réduit pas seulement au fameux « triangle », mari, femme et amant comme dans l’Étau de Luigui Pirandello, écrivain italien, prix nobel de la littérature 1934 ou comme chez notre contemporain Dêhoumon Adjagnon, dans sa pièce « kontonclon mêconlin » jouée en 1979 à Porto-Novo. Ici il y a deux jeunes gens Gaspard et Serge qui gravitent autour du triangle.
Une pseudo-vie familiale est une comédie qui bouscule la frontière de la tragédie sans jamais la franchir. Et c’est bien-là la différence de la pièce de Joël Ajavon, qui lui double le sujet banal de mari trompé avec celui non moins constant sujet de « partir ailleurs ».
L’ailleurs, le sanctuaire des rêves avortés. L’ailleurs pourtant, destination ultime et salutaire des désespérés.
Partir ailleurs et bâtir une nouvelle vie pour soi et pour les siens. Se permettre le rêve qui sauve même si on en crève souvent.
La scène introductive est essentiellement choral et représente la voix démultipliée de Jean-Paul parti avant le début du drame. Un personnage qu’on ne voit jamais et qui pourtant brille tellement par la récurrence de son évocation sur scène qu’il devient du coup plus présent que ceux qu’on voit en chair sur le plateau pendant une heure.
Les 2 frères du fameux Jean-Paul, insouciants et débonnaires, Gaspard et Serge ne manquent d’ambitions.
Gaspard rêve d’être un grand basketteur alors que Serge désire devenir un rapeur célèbre.
Il y a Pépina, mère de famille, femme de Adonis, son mari, père présumé des trois garçons. Vieille et mal aimée et toujours trompée par son mari, elle se réfugie dans la prière. Elle court vers l’église enfin à la quête de la spiritualité qu’elle ne peut trouver dans un mariage mal en point. Elle rencontre plutôt l’amour là-bas à l’église auprès du pasteur.
Le metteur en scène, Luc Alanda Koubidina a traité cette œuvre d’Ajavon de façon atypique. Du texte chanté et rapé, des textes et chants chorales, presqu’un opéra sans instrument de musique substitués par une bande son soigneusement réglée par Sahada Bio, l’assistante à la mise en scène.
Conçue comme une ombre de Jean- Paul, la voix de rossignol de Fifonsi remplie merveilleusement la salle et nos oreilles. Évocatrice par endroit, elle nous chante parfois des portions du texte juste au moment où la voix parlée devient incapable de porter la charge émotionnelle agréable relais ! Puis il devient tragique et nous saisit des triples.
La construction dramatique de la pièce est intéressante. Au summum des conflits et scandales familiaux, le chœur nous conduit en guise de dénouement devant un océan imaginaire aux vagues meurtrières pour nous faire vivre les traversées périlleuses des téméraires candidats pour l’exil. Et c’est le grand moment des révélations où les linges sales de la famille sont jetés parterre. La plaie béante est ouverte. Quelle putréfaction ! Je suis incapable de vous la rapporter.
C’est à vous de venir voir de vos propres yeux et écouter de vos propres oreilles…. Sur cet océan de nos consciences, là, en face disais-je, le ciel est sombre. Les nuages agités roulent dans tous les sens et s’assimilent aux mouvements colériques des vagues. Tellement les tournents sont vertigineux que nous ne pouvons jurer à la fin si Jean-Paul est toujours vivant ou mort.
C’est donc avec intelligence et subtilité que Luc Alanda Koubidina dans sa mise en scène combine l’excès de lyrisme de l’auteur sur l’ailleurs au truculent langage choral assaisonné de cette pétillante voix de Fifonsi qui sort du fond de ses entrailles, une voix qui noue l’estomac et fait monter en nous de façon progressive et certaine les émotions pour nous abandonner à la fin, assommés sur les rives du doute qui fait perdurer le spectacle dans nos têtes. Bravo.

Alougbine Dine

 

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